Atteinte de l’œsophage et de l’estomac dans la sclérodermie systémique 

Par le Pr Brigitte GRANEL

1/ Atteinte de l’œsophage

Cette atteinte est fréquente et précoce.

Physiopathologie : Les muscles de l’œsophage fonctionnent mal. Ce sont ces muscles qui font passer l’alimentation dans l’estomac et qui empêchent le retour du liquide très acide de l’estomac dans l’œsophage dont la muqueuse ne supporte pas autant d’acidité (Figure 1). Ce mauvais fonctionnement et la diminution de la pression du sphincter inférieur de l’œsophage favorisent le reflux gastro-oesophagien (RGO), c’est à dire que le contenu de l’estomac arrive à remonter dans l’œsophage. Ce trouble moteur oesophagien peut aboutir à terme à une dilatation œsophagienne.

Clinique : 

  • Le reflux gastro-œsophagien (RGO) est la manifestation digestive la plus fréquente dans la ScS, concernant près de 90 % des patients. Il peut être responsable de brûlures ressenties au milieu du thorax, de régurgitations (gout amer dans la bouche), et parfois d’une toux et d’une voix enraillée.

Le RGO peut se compliquer en provoquant une inflammation de l’œsophage (œsophagite) plus ou moins sévère, qui peut avoir des conséquences graves sur la paroi de l’œsophage (cicatrisation anormale empêchant le passage alimentaire et/ou modification de la muqueuse normale de l’œsophage).

  • Le deuxième symptôme le plus souvent observé est la difficulté à faire descendre les aliments (dysphagie) jusque dans l’estomac. Elle est souvent due au trouble moteur de l’œsophage, avec un œsophage qui ne se contracte pas aussi bien que nécessaire voire pas du tout pour accompagner la descente des aliments dans l’estomac. 

Ce trouble moteur de l’œsophage, mais aussi les complications de l’œsophagite peuvent tous deux entrainer une difficulté à avaler, voire un « blocage » de certains aliments. Il est donc important de bien évaluer ce symptôme par des examens para-cliniques (voir ci-dessous).

Les trois examens para-cliniques fondamentaux:

  • l’endoscopie oeso-gastroduodénale pour voir à l’intérieur du tube digestif l’état de la muqueuse. L’endoscopie digestive haute, souvent appelée gastroscopie, consiste à observer l’œsophage, l’estomac et le duodénum, grâce à un tube souple muni d’une petite caméra et à pratiquer des prélèvements (Figure 1). Elle permet de dépister les complications du RGO. L’endoscopie digestive haute est pratiquée par un médecin gastro-entérologue soit sous anesthésie légère (sédation); soit sous anesthésie locale.

Figure 1 : Anatomie et exploration du système digestif haut par endoscopie

  • la manométrie œsophagienne haute résolution pour rechercher un trouble moteur de l’œsophage. Le type de résultat au cours de la ScS souvent observé est une abolition ou une diminution du péristaltisme du la partie inférieure de l’œsophage et une diminution du tonus du sphincter inférieur de l’œsophage. C’est un examen désagréable car il nécessite de passer une sonde dans le nez. Il n’est pas douloureux et il ne peut pas se faire sous anesthésie générale.
  • la pHmétrie œsophagienne pour mesurer l’acidité du contenu de l’oesophage sur 24 heures. C’est la pose d’une petite sonde reliée à un boîtier enregistreur. Il faut avaler et garder toute une journée et une nuit le petit câble qui passe par le nez jusque dans l’œsophage. La pH-métrie est considérée comme le gold standard pour faire le diagnostic de RGO. Cependant, cet examen est peu réalisé en pratique courante dans la ScS, car il est désagréable et le diagnostic est généralement posé sur la base des signes cliniques.

Le traitement :

Il est tout d’abord important d’éduquer les patients sur les mesures hygiénodiététiques à appliquer : prendre les repas en plusieurs fois par petite quantité, espacer l’heure du repas et celle du coucher, éviter les repas trop gras ou épicés le soir, bien mâcher les aliments, adopter la position semi assis pour dormir, stopper un éventuel tabagisme et éviter d’être en surpoids. 

Malheureusement, la plupart du temps, chez le patient sclérodermique, ces mesures ne suffisent pas. Ainsi, les inhibiteurs de la pompe à proton (IPP) comme par exemple l’oméprazole, esoméprazole, lansoprazole etc sont la pierre angulaire du traitement du RGO. En fonction des symptômes du patient, un traitement prokinétique (pour augmenter la motricité digestive) et/ou un traitement antiacide local complémentaire peuvent être efficaces.

2/ Atteinte de l’estomac

La gastroparésie correspond à un retard de la fonction de vidange de l’estomac et concerne jusqu’à 50% des patients atteints de ScS. La motilité gastrique est diminuée, cela veut dire que le bol alimentaire ne progresse pas bien vers l’intestin (Figure 1, le duodénum est la partie initiale de l’intestin).

La gastroparésie peut être responsable de ballonnements, de douleurs abdominales, de satiété précoce, et de nausées/vomissements. L’absence d’obstacle doit en premier lieu être affirmée par la réalisation d’une endoscopie digestive (voir plus haut). 

Le diagnostic de gastroparésie repose sur la mise en évidence d’un retard de vidange de l’estomac: la scintigraphie de vidange gastrique. La scintigraphie de vidange gastrique sert à déterminer à quelle vitesse la nourriture est acheminée de l’estomac à l’intestin grêle. Elle se déroule dans un service de médecine nucléaire. La durée minimale de cet examen est de 3 heures (examen long).

Il est important de noter que la sévérité des symptômes n’est pas ou peu corrélée avec la sévérité des anomalies objectivées

L’ectasie vasculaire antrale gastrique. C’est une malformation vasculaire gastrique ressemblant aux rayures caractéristiques d’une pastèque en vue endoscopique, d’où le nom d’estomac « pastèque ». Elle est principalement responsable de saignements digestives chroniques, souvent à bas bruit, aboutissant à une anémie par carence en fer pouvant nécessiter des transfusions itératives de culots globulaires rouges. C’est une manifestation considérée comme rare de la ScS mais dont la prévalence est variable, pouvant aller jusqu’à 22 % selon les études.

Pour aller plus loin : Mise au point sur l’atteinte digestive de la sclérodermie systémique

A Renaud, A Jirka, C Durant, J Connault, O Espitia, C Takoudju, C Agard. Rev Med Interne 2023;44:410-422.doi: 10.1016/j.revmed.2023.05.003. Epub 2023 Jun 1.


Atteinte de l’intestin grêle dans la sclérodermie

Par le Pr Brigitte GRANEL

L’intestin grêle est la partie du tube digestif située entre l’estomac et le gros intestin (côlon), comme présentée de façon schématique sur la figure 1.

Figure : Schéma de l’intestin grêle dans le système digestif

L’atteinte de l’intestin grêle au cours de la sclérodermie systémique peut se présenter sous différentes formes :

  • Une colonisation bactérienne chronique du grêle

Il s’agit d’une pullulation microbienne intestinale du grêle qui concerne environ 30% des patients, même si la fréquence varie selon la méthode diagnostique. La pullulation est la conséquence des troubles moteurs intestinaux responsables d’une prolifération bactérienne exagérée.

Elle se manifeste principalement par une diarrhée, mais elle peut également être responsable de ballonnements, de douleurs abdominales, ou de nausées.

Les patients ayant une pullulation microbienne intestinale peuvent également être asymptomatiques.

A l’extrême, la pullulation peut entraîner une maldigestion et une malabsorption, notamment de plusieurs vitamines (B12, B9, A, D, etc.) et en fer.

En effet, les bactéries en surnombre rentrent en compétition avec la muqueuse intestinale et consomment une quantité importante de nutriments. De plus, l’inflammation de la paroi digestive altère la muqueuse intestinale, et donc ses fonctions d’absorption.

Le test respiratoire à l’hydrogène après ingestion de glucose est un examen facile de réalisation pour en faire le diagnostic et suivre l’éradication après traitement.

  • Une pseudo-obstruction intestinale chronique

Il s’agit d’une obstruction intestinale sans obstacle mécanique mis en évidence. Elle se manifeste par des douleurs abdominales, parfois intenses, associées à un ballonnement avec un abdomen distendu, une constipation, et des nausées/vomissements. C’est une manifestation rare mais grave.

La TDM (scanner) abdominopelvienne injectée est l’examen le plus adapté pour en faire le diagnostic.

  • Des angiodysplasies intestinales

Les angiodysplasies intestinales (grêliques ou coliques) concernent 10 à 20% des patients sclérodermiques. Elles correspondent à des vaisseaux sanguins anormaux, dilatés, tortueux et généralement petits, visualisés dans les parois de l’intestin.

Elles peuvent être responsables d’anémie ferriprive (par carence en fer), par saignement digestif à bas bruit, ou d’hémorragie digestive aiguë à risque vital.

L’examen de référence est la vidéocapsule endoscopique, non invasive, permettant la visualisation des anomalies vasculaires intestinales avec une bonne sensibilité. En revanche, cette méthode ne permet pas une intervention dans le même temps comme l’entéroscopie ou la coloscopie, aussi sensibles mais plus invasives.

Pour aller plus loin : Mise au point sur l’atteinte digestive de la sclérodermie systémique

A Renaud, A Jirka, C Durant, J Connault, O Espitia, C Takoudju, C Agard. Rev Med Interne 2023;44:410-422.doi: 10.1016/j.revmed.2023.05.003. Epub 2023 Jun 1.