Par le Dr Audrey Benyamine et Pr Brigitte Granel

La prise en charge thérapeutique de la sclérodermie systémique (ScS) est un sujet qui nécessite une mise à jour régulière car de nouvelles thérapeutiques ont vu le jour ces dernières années.

Nous proposons d’aborder la prise en charge médicamenteuse basée sur les recommandations nationales publiées dans le protocole national de diagnostic et de soin (PNDS) (https://www.has-sante.fr/upload/docs/application/pdf/2008-11/pnds__sclerodermie_web.pdf) et sur les recommandations de l’European League Against Rheumatism (EULAR) pour le traitement de la Sclérodermie mises à jour en 2023 (Del Galdo F, Lescoat A, Conaghan PG, Bertoldo E, Čolić J, Santiago T, et al. EULAR recommendations for the treatment of systemic sclerosis: 2023 update. Ann Rheum Dis. 11 oct 2024;ard-2024-226430.)

Les principes généraux

  • Les patients sont invités à être suivis auprès d’un centre de référence ou de compétence pour les maladies auto-immunes de la filière des maladies auto-immunes et auto-inflammatoires rares (FAI2R) (https://www.fai2r.org/les-centres-fai2r/).
  • Les traitements de fond sont proposés en fonction du type de présentation clinique et des atteintes viscérales. Ainsi, la mise en place d’un traitement de fond nécessite bien souvent une collaboration avec un spécialiste d’organe (pneumologue, dermatologue, rhumatologue…) et un médecine interniste.
  • Comme il s’agit d’une maladie rare, la plupart des médicaments sont utilisés hors autorisation de mise sur le marché (AMM). Ces traitements sont malgré tout pris en charge, sur recommandations d’experts ou avis en réunion de concertation pluridisciplinaire (RCP), comme c’est le cas dans nombre de maladies rares.
  • L’utilisation de corticoïdes à forte dose est à éviter dans la ScS du fait du risque de précipiter une crise rénale sclérodermique, habituellement ce risque est rapporté pour des posologies supérieurs à 15 mg/jour.
  • Le patient doit être au centre de la prise en charge et donc informés de l’indication et du type de médicament proposé ainsi que de ses modalités de surveillance et ses effets indésirables.

Les recommandations en fonction de l’organe atteint

Le groupe de travail de l’EULAR s’est réuni en 2023 et a approuvé 22 recommandations couvrant 8 domaines cliniques et atteintes d’organes qui sont présentées dans le tableau 1 ci-dessous.

Tableau 1 : recommandations 2023 de l’EULAR et du PNDS Sclérodermie

Pour le phénomène de Raynaud de la Sclérodermie   La sévérité du phénomène de Raynaud au cours de la ScS justifie son traitement. Aucun traitement ne permet de le faire entièrement disparaitre. Le traitement a pour but de réduire le nombre de crises, d’améliorer la qualité de vie et de prévenir la survenue de troubles trophiques digitaux dont l’ulcère ischémique. Les mesures non pharmacologiques sont indispensables, comme la protection vis à vis du froid, des microtraumatismes, l’arrêt du tabac et éviter les médicaments vaso-constricteurs.  
Les antagonistes calciques, généralement la nifédipine par voie orale, doivent être utilisés en première intention. Le seul à avoir obtenu une AMM pour le Raynaud est la nifédipine.Les inhibiteurs de la PDE5 (sildénafil) sont envisagés en cas de phénomène de Raynaud sévère si résistance ou intolérance aux inhibiteurs calciques (utilisation hors AMM). L’Iloprost intraveineux doit être envisagé en deuxième ligne pour le syndrome de Raynaud de la Sclérodermie sévère après échec de la thérapie orale. L’Iloprost en intra veineux sur 5 jours a une AMM dans les « phénomènes de Raynaud sévères avec troubles trophiques en évolution »    
Pour les ulcères digitaux   Le but du traitement local est d’obtenir la cicatrisation et de traiter les surinfections. Il concerne autant les ulcérations traumatiques qu’ischémiques. Les principes du traitement local qui pourra être réalisé par une infirmière diplômée formée dans la prise en charge des plaies et cicatrisation, sont les suivants : détersion mécanique après anesthésie locale, nettoyage des plaies au sérum physiologique ou à l’eau et au savon et pansements occlusifs adaptés au type de lésion. La recherche et le traitement d’une surinfection sont systématiques. Un traitement symptomatique est recommandé : antalgiques, antibiotiques parfois par voie générale, adaptés aux prélèvements bactériologiques en cas de plaie surinfectée. La cicatrisation est très lente et peut prendre plusieurs mois.  
Les inhibiteurs de la PDE5 (sildenafil) sont possibles (utilisation hors AMM). L’association d’un antagoniste calcique et d’un inhibiteur de la PDE5 est possible.L’iloprost intraveineux doit être envisagés pour le traitement des ulcères digitaux (utilisation dans le cadre de l’AMM). Le schéma thérapeutique le plus souvent proposé est une perfusion sur 6 à 8 heures pendant 5 jours. Cette cure de 5 jours peut éventuellement être renouvelée en fonction de la réponse clinique ou prolongée en cas d’effet réel mais incomplet.Le bosentan devrait être envisagé pour réduire le nombre de nouveaux ulcères ischémiques. Cette molécule a montré un bénéfice dans la prévention de la récidive d’ulcères digitaux chez les patients les plus sévères à risque d’ulcérations digitales multiples (utilisation dans le cadre de l’AMM), mais il n’a pas été démontré d’effet sur la rapidité de cicatrisation des plaies ischémiques constituées. Il n’y a pas d’indication à prescrire le bosentan en traitement curatif des ulcères digitaux.  
Pour l’Hypertension artérielle pulmonaire (HTAP) associée à la Sclérodermie Les recommandations de prise en charge des patients atteints d’HTAP associée à la ScS sont basées sur celles de l’HTAP idiopathique selon les recommandations jointes des sociétés européennes de cardiologie et de pneumologie. Une RCP est recommandée pour valider l’approche thérapeutique.  
La combinaison d’antagonistes des récepteurs de PDE5i et de l’endothéline devrait être considérée en première ligneL’époprosténol intraveineux devrait être envisagé pour le traitement des patients atteints d’HTAP en phase avancée Il convient de tenir compte d’autres analogues ou agonistes de la prostacycline pour le traitement des HTAPLe Riociguat peut être envisagé pour le traitement de la HTAP L’utilisation d’anticoagulants (warfarine) n’est pas recommandée*    
Pour la crise rénale de la Sclérodermie (SRC) Il s’agit d’une urgence médicale. Tout patient ayant une hypertension artérielle ou une aggravation de la fonction rénale doit être hospitalisé et une CRS doit être recherchée. Le patient doit être pris en charge par une équipe médicale entrainée dans la prise en charge de la CRS (souvent la néphrologie ou la réanimation). L’enjeu principal est le contrôle précoce de la pression artérielle Les patients traités par corticoïdes ne devraient recevoir que des doses inférieures à 15 mg/J et devraient avoir une surveillance de la tension artérielle pour détecter la SRC.  
Les inhibiteurs de l’enzyme de conversion (IEC) doivent être utilisés immédiatement au diagnostic de la SRCLa nicardipine (Loxen®) ou l’urapidil (Eupressyl®), peuvent être utilisés précocement si la pression artérielle n’est pas contrôlée par les IEC seuls ou d’emblée en cas « d’HTA maligne » afin de titrer la posologie et de permettre une baisse contrôlée de la pression artérielle en préservant la circulation cérébrale.    
Pour l’atteinte du tube digestif au cours de la SSc L’ensemble du tube digestif peut être atteint : Œsophagite et troubles moteurs œsophagiensGastroparésie (douleurs abdominales et vomissements retardés)Troubles moteurs responsables de syndrome de malabsorption et/ou de pseudo-obstruction intestinaleSyndrome de malabsorption par colonisation bactérienne chronique du grêleAtteinte coliqueProlapsus rectal et incontinence analeDénutrition de cause multifactorielle  
Les inhibiteurs de la pompe à protons devraient être considérés pour le traitement du reflux gastro-œsophagien et la prévention des ulcères et sténoses de l’œsophageL’utilisation de prokinétiques (métoclopramide et dompéridone) doit être envisagée pour le traitement des troubles symptomatiques de la motilité L’utilisation d’antibiotiques séquentiels devrait être envisagée pour le traitement de la pullulation bactérienne du grêlePrise en charge nutritionnelle et diététique adaptée au tableau clinique, alimentation entérale voire nutrition parentérale dans les cas sévères    
Pour la fibrose cutanée de la ScS   La peau doit faire l’objet de soins locaux visant à une bonne hydratation. Il est recommandé d’utiliser de façon pluri-quotidienne des crèmes ou lotions hydratantes ou émollientes.  
Le méthotrexate (MTX) : L’utilisation du MTX se fait essentiellement dans les formes diffuses récentes de ScS. Il n’y a pas de durée de traitement établi mais en cas d’amélioration clinique, le groupe de travail recommande une durée de traitement d’au moins 2 ans (utilisation hors AMM).Le mycophénolate mofetil (MMF) est à proposer dans l’atteinte cutanée des formes diffuses de ScS. Le MMF est un traitement de fond envisageable dans les formes cutanées diffuses de ScS avec ou sans atteinte pulmonaire (utilisation hors AMM). Le rituximab (anticorps monoclonal anti-CD20) peut être envisagé pour le traitement de la fibrose cutanée chez les patients avec une atteinte cutanée diffuse (utilisation hors AMM)*Le tocilizumab peut être envisagé pour le traitement de la fibrose cutanée chez les patients présentant une forme cutanée diffuse précoce et inflammatoire*    
Pour l’atteinte pulmonaire interstitielle (PID) de la ScS   Des mesures générales sont à vérifier : Arrêt total et définitif du tabac en évitant le tabagisme passif Rechercher une exposition professionnelle (silice cristalline, solvants) Vaccinations Optimisation du traitement du reflux gastro-œsophagien L’oxygénothérapie de déambulation chez les patients ayant une désaturation d’oxygène à l’exercice L’oxygénothérapie de longue durée au repos si insuffisance respiratoire chronique grave Rééducation et réadaptation respiratoire à promouvoir L’état nutritionnel de chaque patient doit être évalué et toute dénutrition corrigée afin d’améliorer les défenses anti-infectieuses   Concernant les traitements spécifiques, toutes les PID de la ScS ne sont pas à traiter. Les critères de traitement de la PID sont les suivants Patients ayant une fibrose sévère d’embléePatients avec PID au bilan initial ou non, quel que soit l’extension scanographique mais à haut risque de progressionEn cas de fibrose pulmonaire progressive. Pour poser au mieux l’indication thérapeutique, une RCP collégiale entre médecins internistes, pneumologues et radiologues est souhaitable. L’objectif thérapeutique est principalement la stabilisation de la dégradation de la fonction pulmonaire au cours du temps, voire son amélioration.  
Le mycophénolate mofetil (MMF), le cyclophosphamide ou le rituximab devraient être considérés pour le traitement de la PID* (utilisation hors AMM pour les 3) Le nintedanib (molécule non immunosuppressive, classé comme anti-fibrosant) devrait être considéré seul ou en association avec le mycophénolate mofetil pour le traitement de la PID* (utilisation dans le cadre l’AMM)Le tocilizumab devrait être envisagé pour le traitement de la PID* (utilisation hors AMM)    
Pour l’atteinte musculosquelettique de la ScS   Les atteintes de l’appareil locomoteur sont fréquentes au cours de la ScS : arthralgies, arthrites et ténosynovites sont notamment présentes dans les premières années de la maladie.  
Les arthralgies et arthrites peuvent être traitées par antalgiques et par anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS), sur une courte durée, avec une surveillance de la fonction rénale et après évaluation du risque de saignement digestif.Les corticoïdes sont proposés par voie orale à une dose initiale d’équivalent prednisone ne dépassant pas 10 à 15 mg/jour puis à une dose plus faible au long cours, inférieure à 10 mg/jour.Les infiltrations de corticoïdes peuvent être proposées en cas d’atteinte articulaire ou ténosynoviale, ainsi qu’en cas de syndrome du canal carpien. Les ténosynovites peuvent bénéficier des mêmes traitements que les atteintes articulaires mais il n’y a pas d’étude spécifique consacrée à ce type d’atteinte.Des programmes de rééducation peuvent réduire le handicap mais n’ont pas démontré d’efficacité significative à long terme.Aucun csDMARD (conventional synthetic disease-modifying antirheumatic drugs) n’a été évalué spécifiquement dans une étude contrôlée randomisée pour les atteintes articulaires de la ScS. Cependant des recommandations d’experts sont :Le méthotrexate : il est souvent proposé en cas d’atteinte polyarticulaire à composante inflammatoire, par analogie avec la polyarthrite rhumatoïde, notamment dans les formes cutanées diffuses précoces. La voie sous-cutanée peut être utilisée notamment en cas d’atteinte gastro-intestinale (utilisation hors AMM)Certains bDMARD (biologic DMARD) ont fait l’objet d’études observationnelles et d’autres d’essais thérapeutiques randomisés (utilisation hors AMM) : · Le rituximab, Ac anti-CD20, a une AMM dans la polyarthrite rhumatoïde et peut être discuté en cas de polyarthrite réfractaire, particulièrement en cas de chevauchement avec une polyarthrite rhumatoïde. · Le tocilizumab, Ac anti-IL6 récepteur, a une AMM dans la polyarthrite rhumatoïde et peut être discuté en cas de polyarthrite réfractaire, particulièrement en cas de chevauchement avec une polyarthrite rhumatoïde.  
Pour les formes graves  
Une immunosuppression de haute intensité (généralement incluant le cyclophosphamide) suivie d’une autogreffe de cellules souches hématopoïétiques autologues (AHSCT) peut être envisagée pour le traitement de patients sélectionnés avec une forme cutanée diffuse précoce et un mauvais pronostic, en absence de troubles cardiorespiratoires avancés. Ces procédures thérapeutiques sont réservées aux formes sévères, rapidement progressives, après sélection rigoureuse des patients et doivent être effectuées dans des centres experts accrédités pour ces procédures.  

*Recommandations sensiblement nouvelles par rapport à la mise à jour de 2017.

Figure 1 : Représentation schématique des huit domaines cliniques couverts par les recommandations 2023